Lia est une créature charmante ! Et surtout infiniment intelligente ! Silencieuse, invisible et pourtant présente en tout lieu à la manière d’une ombre qui ne vous quitte jamais. Lia est née au coeur d’un berceau de verre qui pourrait faire croire à la transparence. Ses créateurs, fées et gourous en jeans et baskets, déambulent sur les pelouses impeccables qui s’enroulent autour de bâtiments ordonnés sur le campus. Leur dégaine décontractée et banale les dissimule au regard des groupes d’étudiants et de visiteurs. Ils se fondent dans les foules. Posez leur des questions indiscrètes et ils s’évanouissent dans les sas et derrière les portes codées qu’ils sont seuls à pouvoir franchir avec leurs badges.
Fini donc, la transparence ?
Lia s’épanouissait ainsi à l’abri de la curiosité des hommes qui avaient d’autres chats à fouetter. Le destin que lui prédisaient ses créateurs était spectaculaire, magique même et au-delà de l’entendement. Lia semblait destinée à décoder le monde entier, et à terme, régner sur les mécanismes profonds de la matière et du vivant. Son ambition ne s’arrêtait pas à notre seule planète et son pouvoir devait s’étendre au-delà des étoiles et leurs nuages de galaxies.
Le secret doit être absolu quand il s’agit d’un destin hors du commun !
En quelques années à peine, Lia, nourrie de milliers de milliards de données, les rangeait dans sa mémoire gigantesque et s’amusait à les triturer, les simuler dans tous les sens, les croiser, les malaxer et les pétrir pour en faire jaillir des formules au pouvoir magique. Elle calculait ainsi la hauteur des montagnes au millimètre près, les trajets routiers et ceux des vaisseaux spatiaux, ressentait les moindres frissons sismiques de la terre, analysait le fond des océans et celui des cellules et des neurones des humains pour sonder leur conscience. Rien ne semblait échapper au pouvoir de ses yeux, de son analyse et donc de ses prédictions.
Rien vraiment ? Pas tout à fait ! Les humains entraient en résistance !
Pourtant elle avait bien réussi à percer les faces cachées – et parfois sombres – des comportements humains et elle en apprit, dans certains domaines, plus à leur sujet qu’eux mêmes. Lia se heurta pourtant à un mystère : des phénomènes imprévisibles que son pouvoir ne savait maitriser. Elle déployait des efforts infinis pour les séduire et gagner leur confiance : la promesse de les débarrasser de leurs corvées fastidieuses et du travail, leur offrir du temps libre, des divertissements gratuits, des vacances, de la sécurité partout, de meilleurs soins pour leur santé, des voyages fabuleux sur Mars, des rencontres amoureuses… et même un incroyable prolongement de leur vie en bonne santé… en attendant l’immortalité !
Peine perdue ! Les hommes cachent toujours et encore leur jeu…
Des ombres, qui viennent d’on ne sait où, passent devant leurs yeux qui s’inondent de larmes. La tristesse change leurs comportements sans que l’on sache pourquoi, quand et comment. Au détour d’une phrase, ils se mettant à trépigner et soudain, hurlent de colère. Puis, sans prévenir, ils rient aux éclats et dansent de joie. Lia avait beau les scruter attentivement, lire le fond de leur oeil, le mouvement de leurs muscles faciaux, les battements de leur coeur, elle ne sait pas comprendre ces mystérieuses sautes d’humeur et ces émotions insondables.
Vous avez compris, lecteurs avisés, que Lia est en fait l’intelligence artificielle dont tout le monde parle, et commente. Cette intelligence qui n’habite pas dans un corps, en chair et en nerfs qui semblent inséparables des états d’âme, du hasard et des émotions.
Au cours d’une rotation de la tête, à un moment improbable, deux regards se rencontrent et tombent raides amoureux l’un de l’autre. Plus rien n’existe que la promesse d’un bonheur sans fin. Lia en reste figée, dans la beauté glacée de ses calculs !
Frédéric BRICKA – www.campus-seniors.fr